Le cirque n’est pas un divertissement pour tout le monde

Plaidoyer pour la Vie

Connaissez-vous la vérité suprême moralement parlant ? Moi, je la connais et ce sont les animaux qui me l’ont apprise. Je leur dédie ce texte. 

Il y a quelques milliards d’années, la Vie est apparue sur la Terre. Depuis, elle s’est divisée (si elle était une) en plusieurs dizaines de millions d’espèces. Le comment, le pourquoi et autres questions de ce genre ne nous intéressent pas ici. Ce qui nous intéresse c’est ce qu’est devenue cette Vie. En se complexifiant, elle a créé des êtres doués de sensations, de sentiments, de pensées. Et elle en a créé des milliards. Chacun de ces êtres a tenté, tente et tentera de s’adapter à son milieu (ou d’adapter le milieu ) pour son plus grand confort. Jusqu’ici rien d’illégitime, rien d’immoral. Tout être arrivant dans ce monde doit se faire une petite place confortable, l’instinct de survie l’y poussant de toute façon. Parmi ces milliards d’êtres, il y en a un qui nous intéresse particulièrement : notre propre être. Parmi ces millions d’espèces, il y en a une qui nous intéresse particulièrement : notre propre espèce. Jusqu’ici rien d’illégitime, rien d’immoral. Il fût un temps où chaque être occupait un espace de vie proportionné à ses besoins. De même, sa consommation de produits de la terre se limitait au nécessaire. Il fût un temps de violence, de crime, quand les êtres et les espèces découvraient que leurs intérêts étaient incompatibles. Jusqu’ici rien d’illégitime, rien d’immoral. Ces êtres s’entre-tuaient pour survivre et, comme leur conscience était basique, leurs gestes étaient amoraux.

Mais il fût une espèce qui, par ce qu’elle a appelé plus tard l’intelligence, changea la donne. L’intelligence et la conscience ont changé la face du monde. Cet être qui renversa presque l’ordre naturel des choses est, on l’aura deviné, l’Homme. Par son intelligence, par sa ruse, il réussit à changer le cours de la Vie. Comment ? En s’érigeant maître du monde (apparemment son intelligence supérieure ou Dieu ou les deux lui donnaient ce droit). Pourquoi ? Pour son plus grand confort. Pour sonplus grand confort. Ici commencent l’illégitimité et l’immoralité. Cette infime partie du monde a proclamé que le monde serait désormais une infime partie de soi. Ce n’est plus l’Homme qui appartient au monde mais le monde qui appartient à l’Homme. Illégitimité et immoralité. Ainsi, comme le monde appartient à l’Homme, tout ce qui est dans le monde appartient également à l’Homme (soit dit en passant, non pas à tous les Hommes, mais juste à ceux qui, par leur ruse ou par leur force ont réussi à soumettre le reste…). C’est ainsi que la Vie est presque devenue propriété privée. Des millions d’espèces, des milliards d’êtres n’ont de destin que celui que l’Homme leur assigne désormais. Et les progrès et le développement des civilisations n’ont fait qu’accroître l’emprise que l’Homme avait sur le monde. Presque partout sur la Terre la vie des animaux dépend des intérêts de l’Homme. Car cet être civilisé et moral ne donne de la valeur aux animaux qu’en fonction du bénéfice qu’il peut en tirer. Autant dire que les animaux n’ont, pour lui, aucune valeur en eux-mêmes.

Mais comment les choses se passent-elles ? Cela est d’une banalité et d’une simplicité telles que peu y font attention. Des dizaines de milliards d’animaux vivent comme des esclaves et sont tués sans aucun égard et cela tous les ans. Dans des cages où ils se piétinent, où ils ne peuvent pas se retourner, dans des batteries qui ne leur permettent pas de voir la lumière du jour, transportés dans des camions surchargés (première et dernière fois pour eux de sentir, tant bien que mal, l’air, le vrai), tués comme ils ont été produits (car cela ne s’appelle plus naissance), à la chaîne, on leur nie toute sensibilité, toute valeur (si ce n’est économique), tout droit…Jamais l’Homme, civilisé qui plus est, n’aura manipulé la Vie sensible avec autant d’indifférence ou de cruauté. Il tue pour manger, il tue pour s’habiller, il tue pour se divertir. En fait, il tue pourtout. Sa vie même est un crime perpétuel. Sa vie est synonyme de mort pour les autres êtres. Sa vie tue. Et, bien qu’il marche sur des cadavres, bien qu’il survole des génocides, cet Homme ne cesse de s’appeler lui-même moral et supérieur (comble de l’absurde, pour légitimer ses crimes). Mais qu’est-ce que la morale si elle permet la souffrance et la mort (inutiles, il va sans dire) de milliards d’êtres sensibles, complètement innocents et sans défense aucune ? Mais qu’est-ce que sa supériorité si ses actes sont de loin pires que tout ce qu’un animal pourra jamais faire ? Où est la morale dans le crime ? Où est la supériorité dans la domination ? Où est la morale dans l’indifférence ? Où est la supériorité dans la violence ? Le fort doit protéger le faible sans quoi il est un lâche. Le sage doit aimer l’ignorant sans quoi il est hypocrite. Aimer. Qu’est-ce que ce mot que l’Humanité utilise à tort et à travers ? « Celui qui aime recherche ce qu’aime celui auquel il est attaché », j’avais entendu une fois…Tuer n’est pas aimer, agresser n’est pas aimer, maltraiter n’est pas aimer. L’amour est doux, désintéressé, magnanime, juste, altruiste, bienveillant. Aimer c’est aider l’autre à persévérer dans sa vie et dans son bonheur. Réfléchissez-y, aimez-vous les animaux ? Vraiment ?

Quel monde avons-nous construit ? Y a-t-il un monde plus injuste que celui où les êtres les plus dénués de faute subissent les plus grands malheurs ? Vraiment, non. Illégitimité et immoralité. Plus l’être est innocent plus injuste est le malheur qu’on lui inflige. Tant qu’on mettra un prix sur la Vie sensible, nul ne sera à l’abri d’être chosifié. Car ceux qui marchandent les êtres n’ont pas d’amour pour la Vie. Ceux qui n’ont pas d’amour pour la Vie, n’ont d’amour pour rien. Et ceux qui n’ont d’amour pour rien sont capables de tout. Nous vivons une autre forme de nazisme. “Envers les animaux, la plupart des hommes sont des nazis.” Il est vain de dire que les animaux ne sont pas comme nous. Celui qui n’est capable d’aimer que ceux qui lui ressemblent n’a, en vérité, que très peu d’amour à offrir. “Nous n’avons pas deux coeurs, un pour les animaux et un pour les hommes” disait Paul Valéry. Et puis, les animaux nous ressemblent plus que certains ne voudraient l’admettre : ils ressentent la douleur et le plaisir, la tristesse et la joie, la tendresse et l’agréssivité, la solitude et la compagnie, le stress, le calme, la peur, le courage, l’ennui…Seuls ceux qui ignorent tout des Hommes ignorent tout des animaux. Il n’y a pas de coupure radicale entre nous et eux, il y a continuité ou du moins similitude. Tout est lié dans le monde, rien n’est à part ou complètement différent. Nous sommes tous les enfants de l’Univers, nous avons tous la Vie. N’est-ce pas une ressemblance suffisante ?

Le temps est venu (avant qu’il ne soit trop tard) de construire un autre monde, d’imaginer une autre vie où tous les êtres puissent vivre leur vie si petite et insignifiante soit-elle à nos yeux. Evidemment, le lion continuera à tuer la gazelle et il ne pourra pas faire autrement. L’Homme si. C’est à cela que pourrait nous servir notre morale ou notre conscience. Nous, nous pouvons arrêter le génocide dont nous sommes responsables. Nous, nous pouvons changer notre manière de vivre. Nous, nous pouvons être meilleurs que par le passé. Nous avons cet avantage. Mais si nous l’ignorons nous nous rendons coupables et nous nous rabaissons au lieu de nous élever. La conscience nous culpabilise. Rendons-la innocente et elle nous purifiera.

L’oiseau n’est-il pas plus beau en vol que dans une cage ? Le poisson n’est-il pas plus beau dans la mer que dans l’aquarium ? Le tigre n’est-il pas plus beau dans la savane qu’au cirque ? Le poulet n’est pas plus beau dans l’herbe que dans une batterie? Rendons aux êtres leur vie, elle leur appartient à jamais. Rendons aux êtres la liberté car nos prisons sont pleines d’innocents. Quel être ne voudrait pas la vie, la liberté, l’espace ? Demandons leur avis et nous le saurons. Aucun philosophe, aucun prophète, aucun scientifique n’a le droit de parler à la place des animaux. Ecoutons-les, nous n’avons besoin ni d’une intelligence ni d’une culture hors du commun pour les comprendre. Il suffit d’imaginer leur vie, de regarder leurs yeux, de les regarder dans les yeux. Oserons-nous soutenir leur regard pur ? Peut-être qu’ils ne nous détestent même pas pour tout ce qu’on leur fait subir (pensez au chien qui défend son maître bien que celui-ci le maltraite…alors que les hommes se détestent parfois juste pour une parole de travers). Peut-être nous plaignent-ils. Qui sait ?! Par contre, une chose est sûre : ils souffrent. Puissions-nous ouvrir notre sensibilité, puissions-nous leur rendre ce que nous leur avons si injustement et si lâchement pris, puissions-nous leur rendre leur Vie ? Nous ne perdrions rien mais nous gagnerions en sagesse, en pureté, en compassion, en justice, en tolérance, en compréhension, en altruisme, en douceur…

Ils ne veulent pas des palais, ils ne veulent pas de l’or, ils ne veulent pas de la célébrité ou du pouvoir, ils veulent juste vivre leur vie qui, si humble qu’elle puisse être à nos yeux, est tout pour eux. Un tout qui ne nous coûte rien. Ils demandent tellement peu. C’est leur Terre aussi, ils y ont les mêmes droits que nous ; nous sommes tous des Terriens, nous sommes tous égaux aux yeux de l’Univers. Celui qui se détachera de sa vanité verra le monde. Celui qui en restera prisonnier ne verra que son monde. Chaque être, quel qu’il soit, a une valeur inestimable. Chaque être est un tout unique de l’espace-temps. Chaque être est le résultat prodigieux et merveilleux de milliards d’années d’évolutions et de changements. Rien ne pourra le remplacer. Ne détruisons pas les merveilles, admirons-les. Car aimer c’est admirer.


“Il y a un plaisir plus grand que celui de tuer : c’est de laisser vivre.” James Oliver Curwood

Pitié pour la condition animale

SILENCE, ON SOUFFRE !

« La tragédie du jour suivant, écrivait Edward Gibbon (1) à propos des spectacles romains, consista dans un massacre de cent lions, d’autant de lionnes, de deux cents léopards et de trois cents ours. » Le temps de ces spectacles odieux est révolu (même si divers combats de coqs ou de taureaux font penser qu’on pourrait encore remplir un cirque avec des amateurs de sang). Mais la vérité, si l’on consent à la regarder en face, est que notre société fait preuve d’une plus grande et plus secrète cruauté. Aucune civilisation n’a jamais infligé d’aussi dures souffrances aux animaux que la nôtre, au nom de la production rationnelle « au coût le plus bas ». Pour sept cents fauves massacrés un jour de fête dans l’Empire romain, ce sont des millions d’animaux que nos sociétés condamnent à un long martyre.

N’ayons pas peur des mots : la France est couverte de camps de concentration et de salles de torture. Des convois de l’horreur la sillonnent à tout instant et en tous sens. Pour cause d’élevage intensif, les fermes, devenues des « exploitations », se sont reconverties en centres de détention à régime sévère, et les « fillettes » de Louis XI passeraient pour de véritables hangars face aux dispositifs où l’on enferme des créatures que la nature avait conçues pour la lumière, pour le mouvement et pour l’espace.
En France, 50 millions de poules pondeuses -à qui l’on a souvent tranché le bec au fer rouge- sont incarcérées à vie dans des cages minuscules où elles ne peuvent ni dormir ni étendre les ailes, mais seulement absorber une nourriture éventuellement issue de fosses septiques et de boues d’épuration… Les truies sont sanglées jour et nuit dans des stalles qui leur interdisent toute espèce de mouvement, et ce pendant deux ans et demi… Des veaux de 145 kg sont enchaînés dans l’obscurité en cases de 0,81 m… Des poulets, dits « de chair », ont les flancs si hypertrophiés que leurs os ne les portent plus et qu’il leur est impossible de se déplacer. Au moyen d’un tube de 40 centimètres enfoncé dans l’oesophage, des appareils pneumatiques font avaler chaque jour 3 kilos de maïs brûlant (l’équivalent de 15 kilos pour un humain) à des canards et à des oies immobilisés dans des « cercueils » grillagés, puisque, de toute façon, ils ne peuvent plus se tenir debout. Pour finir cette existence qui a surtout le mérite d’être brève, beaucoup seront transportés dans des conditions effroyables, entassés sans nourriture, sans soins, sans eau, au cours de voyages proprement étouffants, interminables et souvent fatals. Qui a vu cela ne l’oublie plus jamais.
En Chine, où il est courant d’ébouillanter et d’écorcher vifs les animaux, des ours sauvages sont enfermés jusqu’à ce que mort s’ensuive dans des cages où ils ne peuvent pas même s’asseoir et où ils perdent jusqu’à l’usage de leurs membres. Une sonde est en permanence enfoncée dans leur foie pour y prélever la bile, utilisée en médecine traditionnelle. En Occident, la « communauté scientifique » fignole des animaux d’un genre nouveau : sans poils ni plumes ni graisse, aveugles et dotés de quatre cuisses, manifestement conçus pour le bonheur au grand air ! Il serait long, et pénible, de multiplier les exemples.
Pour ces millions, pour ces milliards d’animaux, le simple fait de vivre, depuis la naissance jusqu’à la mort, est un supplice de chaque seconde, et ces régimes épouvantables leur sont infligés pour des raisons si mesquines qu’on a peine à croire que des êtres humains puissent s’en prévaloir sans honte : une chair plus blanche, quelques centimes gagnés sur un oeuf, un peu de muscle en plus autour de l’os. « Cruelles friandises », disait Plutarque (2).
Quant aux animaux sauvages, pour n’en dire qu’un mot, on se doute qu’ils ne sont guère épargnés par le piège, le fusil, le poison, le trafic, la pollution ou la destruction de leur habitat. 8 500 espèces de vertébrés sont menacées d’extinction à court terme. L’homme est seul responsable de cette extermination qui ne peut être comparée qu’aux extinctions massives du mésozoïque. Au Cameroun, les grands singes sont actuellement victimes de ce qui mérite pleinement d’être appelé une destruction systématique, comparable à une sorte de génocide. Et, dans le domaine de la protection des animaux sauvages, ce n’est certes pas la France qui pourra donner des leçons, elle qui montre tant de zèle à légaliser le braconnage.
On a vu récemment de monstrueuses hécatombes (3), de terribles holocaustes (4) où les animaux étaient non pas « euthanasiés », comme on le dit pudiquement, mais massacrés et brûlés par milliers, par millions en Grande-Bretagne, victimes d’une maladie le plus souvent sans réelle gravité (la fièvre aphteuse), mais coupables de gêner le commerce et de déprécier la marchandise. Il faut d’ailleurs savoir que les abattages continuent après l’épizootie et que 450 000 vaches saines sont actuellement sacrifiées en France à « l’assainissement du marché ». Ce traitement, déjà révoltant quand il s’agit de lait ou de choux-fleurs, est-il admissible sur des êtres sensibles, affectueux et craintifs, et qui ne demandent qu’à vivre ? Rares ont été les professionnels qui se sont plaints d’autre chose que du montant ou de la rapidité de versement des primes au moyen desquelles on s’acharne à maintenir coûte que coûte une agriculture de cauchemar : un système d’indemnités après sinistre, une prime à la torture et à la pollution ? Qui n’a pensé aux pires horreurs médiévales en voyant ces crémations en masse, ces charniers remplis à la pelleteuse ? A quelle horreur veut-on nous préparer en appelant « sensiblerie » ou « zoophilie » toute compassion à l’égard de la condition animale ?
Ces condamnés sans langage
Les sentiments et les affaires n’ont jamais fait bon ménage, mais il semble quand même qu’on ait franchi les limites du supportable. Un producteur fait-il encore la différence entre une créature qui souffre et un objet manufacturé, quand il appelle un veau « le produit de la vache » ? Et alors qu’on entend de plus en plus souvent parler d’« organes vitaux » pour les voitures et de « pièces détachées » pour les corps ?
Il est vrai que partout des hommes, des femmes, des enfants sont victimes de l’injustice, de l’arbitraire, de la misère ou de mauvais traitements, que l’humiliation du prochain est un principe universel, que trop d’innocents croupissent en prison. Mais les souffrances s’additionnent sans s’exclure. « Dans le combat pour la vie, écrit Raoul Vanegeim, tout est prioritaire. » Peut-on être heureux quand on sait que d’autres êtres vivants, quels qu’ils soient, gémissent ?
Ceux que la souffrance animale laisse indifférents, fait sourire ou hausser les épaules au nom des « priorités » devraient se demander si leur réaction ne ressemble pas à celle des adeptes de l’inégalité, partisans de l’esclavage jusqu’au début du XIXe siècle, ou des adversaires du vote des femmes voilà à peine plus de cinquante ans. Au Cambodge, au Rwanda, dans les Balkans et ailleurs, n’a-t-on pas fait valoir également une « priorité » entre les plus proches voisins de nationalité, de religion, de « race » ou de sexe pour renvoyer les victimes à l’étrangeté, et si possible à l’animalité, afin de les éliminer plus facilement ?
Notre compassion est-elle si limitée qu’il faille établir des hiérarchies subjectives entre ceux qui méritent d’être sauvés en premier lieu, puis en second, puis plus du tout ? Faudra-t-il attendre qu’il n’y ait plus un seul Européen dans le malheur avant de se soucier des Africains, ou que tous les humains soient comblés pour s’occuper des animaux ? A quel odieux « choix de Sophie » serions-nous alors sans cesse confrontés ?
Claude Lévi-Strauss a écrit : « L’homme occidental ne peut-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt que né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion ? (…) L’unique espoir pour chacun d’entre nous de n’être pas traité en bête par ses semblables est que tous ses semblables, lui le premier, s’éprouvent immédiatement comme des êtres souffrants. »
Au risque de choquer, demandons-le franchement : pourquoi les hommes auraient-ils le droit de se conduire avec les non-humains comme des barbares avec des innocents, et faudra-t-il toujours être l’inquisiteur, le démon, l’esclavagiste ou l’oppresseur d’un autre ? Quelle vie est a priori méprisable ? Tant que certains se croiront autorisés à maltraiter un être sensible parce qu’il porte des cornes ou des plumes, nul ne sera à l’abri.
La cause des animaux a beaucoup avancé, dans les faits comme dans les mentalités. Rien qu’en France, des dizaines d’associations la défendent, et jamais elle n’a rassemblé dans le monde autant de militants. Quatre-vingt-dix pour cent des Français se déclarent prêts à payer 15 centimes de plus un oeuf de poule libre. Même la législation évolue. Mais peu, et lentement. Et les phénomènes d’extinction massive et d’élevage intensif rattrapent vite les quelques avancées, non pour des motifs sentimentaux ou philosophiques (car l’opinion s’indigne sincèrement des brutalités envers les animaux), mais, encore une fois, pour cette même raison économique, qui s’oppose obstinément à la sensibilité individuelle.
Aux innombrables condamnés sans langage qui espèrent de nous des gestes qui ne viendront pas, nous n’avons à offrir que de bien piètres signes. On ne s’attend pas à ce que les Français deviennent tous végétariens ni, comme certains le demandent, que les droits humains soient étendus au singe. Mais quelle honte y aurait-il à faire un pas dans le sens de la compassion, à créer par exemple un secrétariat d’Etat à la condition animale comme il y en a un à l’économie solidaire ? La Belgique n’a pas craint de le faire. La Pologne a renoncé au gavage ; la Grande-Bretagne envisage d’interdire la chasse à courre. Malgré sa politique agricole, l’Europe s’est déjà timidement mais réellement penchée sur la question de l’élevage, de la chasse, de l’expérimentation et du bien-être. Tôt ou tard, on s’indignera massivement que des hommes aient pu torturer des animaux, même pour des raisons économiques, comme on s’indigne aujourd’hui des massacres romains, des bûchers, du chevalet et de la roue. N’est-il pas préférable que le plus tôt soit le mieux ?
Armand Farrachi.
Animal, Idées

Armand Farrachi
Ecrivain et essayiste, auteur, entre autres, de : Les Ennemis de la terre, Exils, Paris, 1999 ; Les poules préfèrent les cages, Albin Michel, Paris, 2000.
(1) Edward Gibbon (1737-1794), historien anglais, auteur en particulier d’un livre très célèbre : Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, en 1776.
(2) Plutarque (49-125), biographe et moraliste grec, auteur en particulier des Vies parallèles.
(3) Du grec hékatombé qui veut dire : « sacrifice de cent (hékaton) boeufs (bous) ».
(4) Du grec holocaustum, « brûlé tout entier ».